Notions de toxicologie​

5.  Qu'est-ce qu'un effet toxique ?

5.1 L'effet toxique

Lorsqu’un individu absorbe des produits chimiques, divers effets biologiques peuvent se produire et se révéler bénéfiques (ex. : l’amélioration de la santé après l’administration d’un médicament) ou néfastes (ex. : une atteinte pulmonaire suivant l’inhalation d’un gaz corrosif). La notion d’effet toxique suppose des conséquences nocives pour l’organisme.

Le fait d’inhaler, de toucher et même d’ingérer des substances chimiques n’entraîne pas nécessairement un effet toxique. Par exemple, le dioxyde de carbone (CO2) est un métabolite du corps humain expiré par les poumons qui se trouve également dans l’environnement. Il cause l’asphyxie s’il est présent en quantité suffisante dans un espace clos ou mal ventilé. Paradoxalement, l’absorption d’une substance en faible quantité peut s’avérer très toxique et provoquer des lésions graves, tandis que l’absorption en grande quantité d’une autre substance peu toxique peut produire un effet bénin. L’effet toxique est ainsi lié à la notion de toxicité.

La toxicité englobe l’ensemble des effets néfastes d’un toxique sur un organisme vivant. Autrement dit, il s’agit de la capacité inhérente à une substance chimique de produire des effets nocifs chez un organisme vivant (tableau 5) et qui en font une substance dangereuse.

L’effet néfaste est lié à la dose, à la voie d’absorption, au type et à la gravité des lésions ainsi qu’au temps nécessaire à l’apparition d’une lésion.

Un effet aigu se fait sentir dans un temps relativement court (minutes, heures, jours), tandis qu’un effet chronique ne se manifeste qu’après un temps d’exposition relativement long et de façon permanente (semaines, mois, années). Un effet local survient au point de contact, tandis qu’un effet systémique survient à un endroit éloigné du point de contact initial.

Tableau 5. Effets toxiques sur certains tissus et systèmes biologiques

Système et organe

Effet ou signe clinique

Oeil

Irritation, corrosion

Peau

Irritation, corrosion, dermatose

Système digestif

Irritation, corrosion

Système cardiovasculaire

Rythme cardiaque anormal

Système nerveux central

Dépression (nausée, vomissement, étourdissement)

Système nerveux périphérique

Neuropathie (perte de sensation, trouble de la coordination)

Système respiratoire

Irritation, corrosion, essoufflement

Système sanguin

Carboxyhémoglobinémie

Système urinaire

Urine très foncée, sang dans les urines

L'effet toxique est le résultat d'un processus souvent complexe et il peut entraîner une série de réactions physiologiques et métaboliques (figure 5).

Figure 5. Effets d'un gaz irritant sur le système respiratoire

Effets d’un gaz irritant sur le système respiratoire

5.2 Comment survient et évolue un effet toxique

5.2.1 La notion d'exposition

La majorité des toxiques doivent généralement pénétrer dans l'organisme pour produire des effets néfastes, sauf ceux causant des effets locaux. Généralement, pour qu'un effet toxique puisse se produire, il faut que l'organisme soit exposé à un toxique, que ce toxique y pénètre et que l'organisme en absorbe une quantité suffisante pour perturber son fonctionnement. La figure 6 résume la séquence de ces événements.

Figure 6. De l'exposition à l'effet toxique

De l’exposition à l’effet toxique

5.2.2 L'atteinte toxique

Les organismes fonctionnent dans des conditions relativement constantes (pH, oxygène, autres). C'est ce que l'on appelle l'homéostasie ou la constance du milieu intérieur. Les organismes vivants cherchent à maintenir cet équilibre afin de conserver un degré optimal de fonctionnement. Le corps humain est un ensemble de systèmes finement rodés qui peut s'adapter à de nombreuses situations d'agression, tant biologiques que physiques ou chimiques. Les processus d'adaptation de l'organisme fonctionnent continuellement pour veiller à maintenir cet équilibre. Quand cet équilibre est perturbé, cela entraîne un dysfonctionnement, c'est l'effet toxique. Il y a alors mobilisation d'une partie de l'organisme et parfois de tout l'organisme ; des réactions diverses sont déclenchées pour répondre à l'agression et rétablir l'équilibre rompu.

L'organisme peut résister à une agression toxique en autant qu'elle s'effectue à l'intérieur des limites de ses mécanismes de détoxication, d'homéostasie et de réparation. Au delà, les mécanismes de compensation ne peuvent suffire à la tâche. Le système de défense ne peut alors contrer les effets toxiques et des manifestations, réversibles ou non, peuvent s'ensuivre. L’évolution de la réponse de l’organisme à une agression toxique est résumée dans la figure 7 et le tableau 7.

5.2.3 La gravité de l'intoxication

La gravité, l'intensité et la nature des symptômes liés à une exposition à un toxique varient en fonction de plusieurs facteurs tels que la toxicité du produit, la dose reçue, la voie d'exposition et la susceptibilité de l'organisme. L'évaluation et le pronostic sont très variables et sont liés aux symptômes ainsi qu'à leur évolution (tableau 6).

Tableau 6. Gravité d'un effet toxique

Degré de gravité

Bénin

Modéré

Grave

Fatal

Effet

Modification biochimique

Augmentation du volume et du poids d'un organe

Atteinte morphologique d'un organe

Décès

Exemple

Inhibition des cholinestérases causée par l'exposition au malathion

Hyperplasie du foie causée par l'exposition au chlorure de vinyle

Neuropathie avec trouble de la motricité lors de l'exposition à l'hexane

Arrêt respiratoire causé par une intoxication grave aux cyanures

Figure 7. Évolution de la réponse de l'organisme à une agression toxique

Évolution de la réponse de l’organisme

5.2.4 Les effets fonctionnels et lésionnels

Les effets causés par un toxique peuvent se traduire en changements fonctionnels ou lésionnels (morphologie). Les premiers touchent l'atteinte transitoire d'une fonction de l'organisme ou d'un organe (ex. : une modification de la fréquence respiratoire lors de l'exposition à un asphyxiant simple) sans créer de lésions et ils sont généralement réversibles. Les seconds causent une lésion à un ou à plusieurs tissus ou organes (ex. : fibrose pulmonaire causée par l'exposition chronique à la silice cristalline) sans que le sujet présente des signes cliniques et sont souvent irréversibles. Enfin, des altérations biochimiques peuvent également se produire sans être accompagnées de changements morphologiques apparents (ex. : l'inhibition des cholinestérases causée par les insecticides organophosphorés).

Tableau 7. Détérioration progressive de l'état de santé

ÉTAPE1 TOXICITÉ RÉVERSIBILITÉ DESCRIPTION
A + + + + + La réponse s'effectue à l'intérieur des limites du fonctionnement normal de l'organisme.
B + + + + + Les mécanismes d'ajustement normaux sont insuffisants et l'organisme doit procéder à des corrections afin de compenser le déséquilibre biologique provoqué par l'agression. Un épuisement progressif des capacités s'installe et la situation évolue vers une rupture de l'efficacité des mécanismes de défense.
C + + + + + L'organisme ne parvient pas à compenser le déséquilibre, car ses mécanismes de défense ne peuvent pas suffire à la tâche. Une détérioration biologique peut alors s'installer progressivement.
D + + + + + La détérioration se traduit par l'atteinte, souvent irréversible, d'un ou de plusieurs processus biologiques touchant un ou plusieurs organes. À ce stade, le retour à la normalité est possible, mais il est peu probable. La condition biologique peut s'aggraver jusqu'à un point de non-retour, qui délimite l'évolution vers une issue fatale, conséquence de l'arrêt des fonctions vitales.
1. Il n'existe pas nécessairement de séparation claire entre les étapes, il s'agit plutôt d'un continuum biologique.
5.2.5 Les organes cibles

Les toxiques ne produisent pas des effets de même intensité sur tous les organes (ex. : le rein) ou les tissus (ex. : le sang). Ils s'attaquent à des organes en particulier, les organes cibles, pour des raisons qui ne sont pas toujours comprises. Il peut y avoir plusieurs raisons, dont une sensibilité plus grande de ces organes, une concentration plus élevée du toxique et/ou de ses métabolites, etc. Par exemple, le foie est un organe cible pour le chlorure de vinyle.

5.2.6 La réversibilité et l'irréversibilité

Certains effets toxiques sont réversibles (ils disparaissent plus ou moins rapidement après l'arrêt de l'exposition) tandis que d'autres sont irréversibles (ils persistent ou s'aggravent après l'arrêt de l'exposition).

Des changements adaptatifs causés par un produit chimique dans un tissu ou un organe peuvent être accompagnés de changements fonctionnels et morphologiques. De tels changements peuvent être réversibles si on prévient ou arrête l'exposition. Cependant, dans certains cas, l'interruption de l'exposition n'est pas suivie d'une récupération. Il s'agit alors de changements irréversibles (figure 8).

Ainsi, pour un tissu tel que celui du foie, qui a une importante capacité de régénération, la majorité des atteintes sont réversibles ; au contraire, elles sont généralement irréversibles lorsqu'il s'agit d'une atteinte du système nerveux central, les neurones ne pouvant pas être facilement remplacés. Des effets tels que la cancérogénicité et la tératogénicité sont généralement considérés comme des effets irréversibles.

Figure 8. La réversibilité et l’irréversibilité d’une atteinte résultant d’une intoxication

La réversibilité et l’irréversibilité d’une atteinte résultant d’une intoxication

5.2.7 La spécificité de l'intoxication

Les intoxications ne sont pas toujours imputables au travail. Par exemple :

  • de nombreux toxiques sont utilisés sans précautions au cours de loisirs tels que le bricolage (ex. : solvants, colles) et le jardinage (ex. : insecticides, herbicides) ;
  • l'intoxication par le plomb peut être causée par de l'eau potable contaminée ; et
  • l'intoxication au monoxyde de carbone peut être causée par un système de chauffage défectueux (ex. : poêle au gaz propane).

5.3 La classification des effets toxiques

Les effets toxiques peuvent être classés de diverses façons, selon, par exemple :

  • la durée : aiguë, chronique ;
  • le type d'action : locale, systémique ;
  • le mécanisme d'action : stimulant, inhibiteur ;
  • la voie de pénétration : respiratoire, cutanée, digestive ;
  • le tissu ou l'organe affecté : sang (hématotoxique), foie (hépatotoxique), rein (néphrotoxique), le système nerveux (neurotoxique) ;
  • la nature de l'effet : irritant, sensibilisant, asphyxiant, cancérogène ;
  • l'utilisation : pesticides, savons, solvants ;
  • l'étiquetage  : matière corrosive ; et
  • la famille chimique : hydrocarbures aromatiques, alcools.

La classification des toxiques est donc abordée de plusieurs points de vue. Elle dépend souvent du domaine d'application, de l'objectif poursuivi par un organisme ou même du champ d'activité d'un individu. Le tableau 8 présente quelques exemples de classification utilisant des critères présentés plus haut.

Tableau 8. Classification des produits chimiques

Nature de l'effet

Tissu, organe ou système biologique affecté

Asphyxie :

  • acétylène
  • monoxyde de carbone

Rein :

  • diéthylène glycol
  • mercure

Cancer :

  • benzène
  • chlorure de vinyle

Sang :

  • aniline
  • benzène

Corrosion :

  • acide sulfurique
  • hydroxyde de sodium

Système nerveux :

  • toluène
  • xylène

Utilisation du produit

Famille chimique du produit

Colorant :

  • bleu de méthylène
  • vert malachite

Acides :

  • acide acétique
  • acide sulfurique

Pesticide :

  • Aldrine
  • 2,4-D

Hydrocarbures aliphatiques :

  • éthane
  • propane

Solvant :

  • diéthylène glycol
  • xylène

Hydrocarbures aromatiques :

  • benzène
  • xylène